Ce texte fait partie d’une série de réflexions sur la première ligne en contexte de pandémie du Réseau-1 Québec. An English version is also available.
Depuis plusieurs années déjà, je me suis engagée dans le partenariat de mes propres soins. C’était important puisque, étant atteinte de fibrose kystique, j’ai appris à mieux connaître ma maladie et à discuter avec mon équipe soignante. Toute ma vie, j’ai navigué dans ce gros paquebot qu’est le réseau de la santé. J’y ai vécu des échecs terribles et de beaux succès, dont la réussite de ma greffe bi-pulmonaire il y a de cela six ans. J’ai toujours reçu des soins de la plus haute qualité dans un système souvent essoufflé, roulant à vitesse grand V, et j’éprouve beaucoup de reconnaissance envers l’ensemble du personnel soignant.
Je souhaitais faire un geste pour dire merci, mais je ne savais pas comment. Depuis longtemps, je portais un gros sac à dos où j’avais rangé mes expériences de soins et de vie avec la maladie, mais je n’arrivais pas encore à comprendre à quoi cela pourrait servir. J’en ai parlé à quelqu’un et une porte m’a gentiment été ouverte. C’est à partir de ce moment-là que je suis devenue patiente-partenaire.
Depuis quelques années déjà, je collabore avec le Réseau pancanadien de la SRAP sur les innovations en soins de santé de première ligne et intégrés (Réseau ISSPLI), dont le Réseau-1 est la composante québécoise. Dans le cadre de ce réseau, je suis l’une des représentantes québécoises du Conseil pancanadien des patients. Chaque mois, depuis un peu plus de deux ans déjà, je retrouve une dizaine de collègues de toutes les provinces du pays. Nous nous réunissons pour échanger au sujet des meilleures pratiques de partenariat patient au pays. Nous discutons beaucoup. C’est un réseautage qui est profitable parce qu’il permet de briser certaines barrières. Ainsi, nous arrivons à mieux comprendre les réalités de partenariat de chaque province et du même coup, à travailler en collaboration.
Chose certaine, l’atmosphère y est dynamique et les projets ne manquent pas!
À la fin de l’hiver dernier, les choses allaient bon train, puis le 23 mars arriva. Le Québec fut mis sur pause et une série de mesures similaires ont été déployées dans l’ensemble des provinces canadiennes. Malgré tout le tumulte engendré par la pandémie, nous avons poursuivi nos activités. Et c’est mon engagement comme patiente-partenaire auprès du Conseil pancanadien des patients qui m’aura permis de traverser la première vague sans sombrer. C’est par la force du groupe que nous y sommes arrivés.
Notre rencontre de mars, prévue à l’horaire depuis longtemps, a eu lieu comme prévu. Cependant, lorsque nous avons fait l’habituel tour de table, force a été d’admettre que plusieurs d’entre nous n’allaient pas très bien : anxiété, stress, difficulté de concentration, les choses n’étaient pas au beau fixe. Nous avions mille et une questions en tête et les réponses n’existaient pas. C’était très angoissant ! Ce jour-là, en prenant la parole, j’ai éclaté en sanglots en disant « J’ai peur de mourir. J’ai peur de ne pas pouvoir recevoir des soins ». J’étais devenue obsédée par la question des patients « non-covid », question qui me préoccupe toujours autant, dois-je préciser.
Comme groupe, malgré nos difficultés individuelles, nous avons choisi de poursuivre nos activités, entre autres pour briser l’isolement. C’est à partir de cette décision commune qu’une solution intéressante a été proposée : et si l’on se voyait plus souvent? Idée que nous avons acceptée, avec beaucoup d’enthousiasme.
Bien que nous vivions la pandémie chacun à notre façon, affronter un tel obstacle dans la peur, l’isolement et le manque de ressources ne devrait être le quotidien de personne. Nous avons augmenté le rythme de nos rencontres, à raison de deux par mois. Des rencontres plus informelles pour que l’on puisse se soutenir et s’encourager. Ces rendez-vous sont devenus un phare dans le brouillard qui avait envahi mon quotidien depuis le début de la pandémie. Ces rencontres m’ont permis de reprendre confiance en mes capacités et de me sentir moins seule avec mes soucis « covidiens ». Éventuellement, j’ai su puiser dans mon « sac à dos de savoirs expérientiels. » J’y ai trouvé de la résilience, et une importante capacité d’adaptation, qui m’ont permis de mieux vivre depuis.
Cet été, les patients-partenaires du groupe ont participé aux webinaires du Réseau ISSPLI et nous avons eu le privilège d’en animer un : « Rendre l’invisible visible: le pouvoir des partenariats entre les patients et leur communauté ». De plus, nous prévoyons produire bientôt des balados où nous discuterons de partenariat patient selon les réalités vécues par chacun. Nos rencontres ont repris un horaire régulier et nous fonctionnons bien malgré la deuxième vague qui sévit partout au pays.
Parfois, lorsque l’on me demande à quoi ressemble la vie avec la maladie, j’aime proposer l’image d’un château de cartes. Au gré du vent et de l’adversité, j’ai dû apprendre à composer avec des choses parfois étonnantes pour ensuite mieux poursuivre ma route. J’ai reconstruit certains aspects de ma vie. J’ai vécu de nombreux deuils et d’importants changements. C’est une vie complexe qui a pris tout son sens dans le bonheur, la résilience et surtout la ténacité. N’oubliez pas que lorsqu’un patient-partenaire vous parle, dans un contexte de partenariat patient, il le fait dans un esprit d’ouverture, de générosité, et souvent, parce qu’il trouve que c’est une valeur ajoutée importante dans le grand tableau du système de soins de santé.
Récemment, il m’est arrivé de discuter avec des patients-partenaires qui m’ont confié n’avoir eu aucune nouvelle des équipes de recherche auprès desquelles ils étaient impliqués. Certains ont même évoqué vivre un sentiment d’abandon, comme si leur apport ne comptait pas vraiment. Les temps sont durs pour tous ; un court suivi, un rappel, un petit bonjour peut faire une différence dans un contexte où plusieurs patients-partenaires sont isolés depuis plusieurs mois et vivent des moments difficiles.
Bien que ce texte n’engage que mon opinion, je m’exprime ici à titre de patiente-partenaire membre du Conseil pancanadien des patients. Tout ce que j’ai mentionné ci-dessus n’engage que moi. N’ayez crainte, je n’ai pas la prétention de parler au nom de tous les patients. Je tiens à spécifier que je serai là, une fois la pandémie passée, prête à vous aider, à collaborer afin de partager mon savoir expérientiel qui je l’espère, pourra continuer de contribuer à l’enrichissement des soins de première ligne. Je nous souhaite des apprentissages qui viendront améliorer la qualité des soins offerts aux patients.
Ceci dit, je peux aussi vous affirmer qu’après huit mois de confinement, j’ai vraiment très hâte de vous voir en « vrai ». Il y a une lumière au bout de ce long tunnel, elle s’appelle 2021.
Karina Prévost, patiente-partenaire et membre du Réseau-1 Québec