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Un texte de réflexion du Comité des jeunes leaders : Soutenir la relève et repenser la recherche de demain en contexte de « covid-ification» de la recherche

Ce texte fait partie d’une série de réflexions sur la première ligne en contexte de pandémie du Réseau-1 Québec. An English version is also available.

[Ce texte a été rédigé par le Comité des jeunes leaders de la recherche axée sur le patient (RAP) : une communauté de jeunes chercheur.es et étudiant.e.s-chercheur.e.s, au service de la communauté scientifique et de ses membres, qui a pour mission de promouvoir la relève en RAP, en soutenant le renforcement des capacités en RAP, le réseautage et mentorat, la production scientifique et le transfert de connaissances de la RAP, ainsi que la collaboration entre ses membres.]

La «covid-ification» de la recherche

La pandémie de la COVID-19 a braqué les projecteurs collectifs sur la recherche dans le domaine de la santé. Les médias nous rapportent quotidiennement les avancées scientifiques qui soutiennent la lutte collective contre la COVID-19 : données épidémiologiques, essais cliniques de traitements, développement de vaccin, etc. Plusieurs membres de la communauté scientifique au Québec, au Canada et à l’international se sont mobilisés pour répondre aux questions émergentes de cette crise de la COVID-19. À un point tel qu’on assiste à une « covid-ification » fulgurante de la recherche : des investissements importants en recherche sur la COVID-19 (ex. : pharmaceutique, science fondamentale, médecine spécialisée), la création de réseaux et plateformes de partage de recherche sur la COVID-19, la suspension de plusieurs activités de recherche non-COVID, l’annulation ou le report de concours de financement pour des études non-COVID et la réorientation de nombreuses équipes de recherche vers la COVID-19.

Cette « covid-ification » de la recherche reflète une intention de répondre aux questions pressantes pour soutenir la lutte contre la COVID-19, mais peut aussi poser certains risques. Évidemment, les recherches sur l’épidémiologie, les vaccins et les traitements pour la COVID-19 sont essentielles. Toutefois, il est aussi primordial de s’attarder aux questions d’organisation des services de santé, de qualité des soins, d’équité en santé et aux aspects sociaux de cette crise. En outre, il faut être prudent afin d’éviter une « sur-covidification » de la recherche : n’oublions pas que les enjeux non-COVID de nos systèmes de santé et patient.e.s sont toujours présents et peuvent même être amplifiés par cette crise sanitaire. D’ailleurs, les soins et services de santé délaissés ou reportés et retards engendrés dans la prise en charge des problèmes de santé des patient.e.s entraîneront de nouveaux défis.

L’importance de la recherche axée sur le patient

Dans ce contexte, la RAP prend une fois de plus tout son sens. Les bouleversements que nous vivons soulignent le besoin de produire des connaissances qui répondent aux préoccupations de la population. La RAP peut contribuer à la production des évidences sur les soins, services et politiques de santé, orientées vers l’amélioration de la santé et du bien-être des populations et des professionnels de la santé. La RAP, qui implique la mise en place d’un processus collaboratif solide, se retrouve toutefois ébranlée. En cette période de pandémie, il faut veiller à maintenir la participation significative et sécuritaire des patient.e.s, professionnel.le.s de la santé et décideur.e.s afin d’assurer la production de données probantes porteuses de sens et pertinentes. Dans notre société post-COVID, il importera plus que jamais de maintenir des liens forts avec les patient.e.s-partenaires, afin de pouvoir reprendre le cours des travaux mis sur pause, et de les adapter aux défis émergents des patient.e.s et du système de santé.

Qu’est-ce que la RAP ?

La recherche axée sur le patient (RAP) mobilise les patient.e.s et les partenaires multidisciplinaires, se concentre sur les priorités établies par les patient.e.s et améliore les résultats pour les patient.e.s. La RAP vise à appliquer les connaissances afin d’améliorer les systèmes et soins de santé.

Enjeux pour la relève en recherche

En tant que jeunes chercheur.e.s et étudiant.e.s-chercheur.e.s, cette «covid-ification» de la recherche nous touche de plein fouet et nous faisons face à des effets collatéraux inévitables (voir notre algorithme ci-dessous). La perte motivationnelle et les incertitudes vis-à-vis cette situation sollicitent notre capacité de résilience et d’adaptation. Quelques exemples de ce que nous vivons :  une diminution des perspectives d’emploi et précarité en recherche, une soutenance de thèse incertaine dans un format qui ne rend pas justice à l’ampleur des travaux et qui ne permet pas une célébration à la hauteur des efforts, du financement de recherche incertain considérant l’annulation de différents concours, des difficultés à réconcilier la recherche pro-COVID-19 avec notre programmation de recherche de façon cohérente, des délais excédentaires dans le cheminement considérant l’interruption de la collecte de données, une moins grande capacité à maintenir des liens avec les patient.e.s-partenaires et autres partenaires, l’annulation d’évènements permettant le réseautage si précieux pour les avancements de nos carrières, une charge de travail importante causée par l’offre de cours en ligne, des enjeux de conciliation travail-famille liés au télétravail et à la fermeture des écoles et des garderies, etc.

La relève ne dispose pas nécessairement des mêmes ressources et réseaux que des chercheur.e.s plus expérimenté.e.s pour faire face à ces défis. De ces faits, la situation contribue à la précarité de certains et peut rendre vulnérables les étudiant.e.s-chercheur.e.s et les jeunes chercheur.es.

Soutenir la relève en recherche

Ces bouleversements contribuent à la fragilisation de la relève. Sans soutien additionnel, il y a un risque d’effritement de notre génération de jeunes chercheur.e.s. Les superviseur.e.s de recherche, les chercheur.e.s plus expérimenté.e.s, les instances universitaires, les réseaux de recherche et les organismes subventionnaires ont tous un rôle à jouer dans le soutien d’une relève forte, particulièrement dans le contexte que nous connaissons. Ainsi, il est primordial d’offrir le soutien nécessaire, la souplesse et la compréhension aux étudiant.e.s-chercheur.e.s et jeunes chercheur.e.s. Il faut mettre à leur disposition des ressources pour l’accomplissement de leurs travaux et de leur cheminement en début de carrière : suivis plus fréquents, mentorat formel et informel, soutien dans la réorientation des projets et collectes de données, priorisation des objectifs à atteindre, assouplissement des délais pour les demandes de bourses et subventions, considérations de la conciliation travail-famille dans la production scientifique, extension des bourses et financements, etc. La création d’espaces virtuels favorisant la collaboration, l’entraide et le réseautage peuvent aussi renforcer le sentiment d’appartenance et réduire l’isolement. Il faut trouver des façons innovantes de permettre à la relève de participer à des formations, d’acquérir de l’expérience, de démontrer du leadership et de s’engager en recherche. Par exemple, la relève peut s’impliquer dans les demandes de subventions et projets sur la COVID-19 si les opportunités lui sont offertes par des chercheur.e.s plus expérimenté.e.s ou si leur participation est encouragée par des réseaux de recherche et des organismes subventionnaires. Il convient également de demander un appel à la flexibilité et au soutien des organismes subventionnaires et des universités, par le maintien et la création de stratégies pour soutenir la relève en recherche à court, moyen et long terme (ex.: concours, financement, implications, évènements virtuels, mentorat, soutien à la productivité, soutien à la planification de carrière).

Une opportunité de repenser la recherche de demain 

Comme jeunes chercheur.e.s en RAP, nous éprouvons souvent un malaise et une frustration face à des structures et des approches de recherche plus traditionnelles qui nous paraissent vieux jeu et partiellement déphasées des besoins et réalités des patient.e.s et du système de santé. Nous rêvons d’une recherche plus agile, novatrice, interdisciplinaire, en collaboration avec tous les détenteurs de savoir et d’expérience (patient.e.s, clinicien.ne.s, communautés, gestionnaires, décideur.e.s et chercheur.e.s), appliquée en temps réel pour résoudre des problèmes émergents, où notre performance comme chercheur.e est mesurée par l’impact de nos contributions et non uniquement le nombre de lignes dans nos CVs. Bref, une « recherche 3.0 »comme la décrirait le Réseau-1.

Entre nous, nous doutons parfois de notre choix de carrière : la recherche nous permettra-t-elle de contribuer significativement à l’amélioration du système de santé et du bien-être des populations ? Si les grands bouleversements de la recherche des derniers mois nous prouvent une chose, c’est bien que la recherche puisse changer, s’adapter aux besoins émergents et être agile. Cela nous redonne espoir en la recherche et en sa mission. Profitons de cette crise pour repenser la recherche, pour innover et pour apporter des changements durables qui permettront de maintenir cette agilité et cette pertinence renouvelée de la recherche. Nous, la relève en recherche axée sur le patient, nous sommes prêts à relever ce défi. Il ne faut pas l’oublier: nous ne sommes pas seuls, nous faisons partie d’une communauté de recherche forte et plus importante maintenant que jamais !

Mélanie Ann Smithman, candidate au doctorat, Université de Sherbrooke; co-responsable du renforcement des capacités au Réseau-1 Québec; boursière de l’Unité de soutien SRAP du Québec

Isabelle Dufour, infirmière, candidate au doctorat, Université de Sherbrooke; boursière de l’Unité de soutien SRAP du Québec

Virginie Blanchette, podiatre, PhD, jeune professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières, poursuivant sa formation en RAP

Jean-Christophe Bélisle-Pipon, PhD, Visiting Researcher, The Petrie-Flom Center for Health Law Policy, Biotechnology, and Bioethics, Harvard Law School; Fellow, Health Law Institute, Dalhousie University; Chercheur invité, École de santé publique, Université de Montréal; boursier de l’Unité de soutien SRAP du Québec

Samuel Turcotte, ergothérapeute, candidat au doctorat en sciences cliniques et biomédicale (option réadaptation), Université Laval; boursier de la SRAP des IRSC (transition to leadership stream) et de l’Unité de soutien SRAP du Québec

Mohamed Ali Ag Ahmed, MD-MPH,PhD, post-doc en cours à la Chaire de recherches sur les maladies chroniques en soins de premières ligne, Université de Sherbrooke

Ruth Ndjaboue, stagiaire postdoctorale, Université Laval, boursière du réseau national de recherche axée sur le patient Diabète Action Canada

au nom du Comité des jeunes leaders de la RAP