Ce texte fait partie d’une série de réflexions sur la première ligne en contexte de pandémie du Réseau-1 Québec. Article publié originalement le 23 octobre 2020. An English version is also available.
Au mois de mars dernier, la province a été mise sur pause. Tout s’est arrêté. En fait, tout sauf le système de santé qui est passé en mode gestion de crise. L’ennemi microscopique a précipité une panique dans la population et chez tous les intervenants du système de santé. Du jamais vu!
En soins de première ligne, tous les intervenants se sont retrouvés dans un chaos. Beaucoup de questions, peu de réponses. Réorganisation obligatoire: tout le monde en mode protection. Protéger les autres. Les patients. Les plus vulnérables. Se protéger des autres également avec nos propres vulnérabilités. On a assisté à des situations inédites: arrêt de chirurgie non urgente, médecins spécialistes sans possibilité de travailler, arrêt des consultations externes, délestage d’activités, réaffectation massive du personnel, arrêt de la majorité des activités de recherche. Et tout ça alors que la communauté souffre un grand dérangement avec la fermeture des commerces, des écoles, des régions.
Dans nos organisations de soins, tout le monde a dû réfléchir à ce qu’il allait faire se redéfinir. Quel rôle jouer? Rien n’est dicté. On doit construire l’avion et voler en même temps. Comme chercheur et clinicien médecin de famille je me suis retrouvé devant un choix: quelle partie de l’avion pourrais-je aider à construire?
Les collègues de mon GMF ont été des pionniers dans l’application des mesures prescrites par les autorités. Des champions. Nous nous sommes serré les coudes. Tout a été réorganisé. Dans cette effervescence chaotique, comme chercheur plutôt en fin de carrière, je me suis senti tout à coup d’une grande inutilité. Protégé par les collègues pour raison d’âge et paralysé dans mes recherches, je ne pouvais accepter de ne pas contribuer à l’effort collectif.
L’appel de la santé publique est arrivé à point nommé. On faisait face à des éclosions; on venait de rapatrier des professionnels de tous les secteurs vers la santé publique. On avait besoin d’une équipe médicale pour aider à la réalisation des enquêtes épidémiologiques. Je me suis engagé.
D’abord apprendre: les recommandations intérimaires (ce mot s’est avéré très important) de l’Institut National de Santé Publique pour les cas communautaires, pour les travailleurs de la santé, pour les résidences pour personnes âgées, pour les CHSLD. Connaître aussi le contexte juridique: les mesures d’urgence, la sécurité publique, le pouvoir de la direction de la santé publique, la loi de la quarantaine. Puis jongler avec la gestion du risque et ses conséquences. Tout un changement pour un clinicien habitué à traiter des patients individuellement et pour un chercheur dédié aux patients avec des maladies chroniques multiples! Tout ça peut s’apprendre rapidement quand on accepte que ce qui est vrai aujourd’hui peut ne plus appliquer demain! Après tout, on construit l’avion!
Du jour au lendemain nous nous sommes retrouvés dans une équipe médicale relativement éclectique: médecins de famille, médecins d’urgences, chirurgien, médecins spécialistes, professionnels de toute discipline. Tous prêtés à la santé publique pour différentes raisons et œuvrant pour une même cause: la protection des patients et de la communauté.
Avec l’arrivée de l’été, nous avons connu l’accalmie. Reprise progressive des activités dans un mode redéfini, ce qui est devenu petit à petit une nouvelle normalité. En clinique: téléconsultation, limitation du temps de visite en personne, distanciation, équipements de protection. En recherche, reprise lente des activités. Retour vers les comités d’éthique avec demandes de modification: protocole, consentement, déroulement. Il faut s’adapter à une nouvelle réalité sur le terrain. La COVID-19 est là, on ne peut l’ignorer.
Et l’accalmie fut de courte durée. Avec l’arrivée de l’automne, le Québec a déployé son code de couleurs inspiré de la saison sans doute et les régions de vertes initialement ont passé au jaune, à l’orange et au rouge à des rythmes différents. Que nous réserve l’hiver?
Nos gouvernements ont généreusement investi pour aider la population à passer à travers l’épreuve. Nos organismes de financement de la recherche également. On a vu passé plusieurs opportunités de financement pour générer des connaissances. Il faut comprendre ce virus, son mode de transmission, ce qui le détruit, ce qui l’active, ce qu’il entraine comme réaction chez l’animal, chez l’humain. Il faut aussi comprendre la crise que nous vivons, son impact dans la population, chez les enfants, chez les personnes âgées, chez les plus vulnérables. Bref, on a tout à connaitre. Pour plusieurs chercheurs dont les recherche étaient sur pause, l’occasion était idéale pour contribuer à répondre à ses questions. Bravo et merci de mettre vos recherches de côtés et de travailler pour cette cause qui nous touche tous!
De mon côté, j’ai fait le choix de garder le fort. Je n’ai appliqué à aucun programme de financement. Ce n’est pas l’appel que j’ai senti. Je suis resté dans l’immédiat, dans la gestion de la crise. Ça venait chercher ma fibre de chercheur, de soignant, de premier répondant mais ma peur également; j’avais besoin de contribuer à faire la différence en agissant promptement, j’avais besoin de soigner mes propres craintes. Notre arme la plus sure en ce moment est le contrôle de la propagation ce qui implique l’identification rapide des cas et des contacts, leur stratification et les mises en isolement. Ça parait simple à première vue mais la mise en application est parfois très ardue. Ça prend une cueillette de données avec certaines limites il va sans dire, une analyse personnalisée en temps réel. Chaque situation doit être évaluée dans sa globalité. Et il faut certainement jouer au détective pour identifier la source, émettre des hypothèses et tenter de les valider. Bref il y a beaucoup d’éléments qui rejoignent les habiletés requises en recherche. Alors pour moi, il y avait une logique à m’y plaire. Et de retrouver dans l’équipe de santé publique, si éclectique fut-elle, les mêmes valeurs que j’attends chez mes collaborateurs en recherche m’a incité à m’y accrocher. Bienveillance, vigilance, rigueur, capacité d’adaptation, résilience, autant d’attributs que j’ai retrouvés chez mes collègues médecins, infirmières, kinésiologues, nutritionnistes, hygiénistes dentaires, ergothérapeutes tous travaillant avec un seul but, contribuer à freiner la propagation de l’ennemi invisible dans une perspective transdisciplinaire; un concept appris en recherche mais que j’expérimente véritablement en santé publique!
En date du 22 octobre une recherche sur Pubmed identifie 66496 articles portant sur la COVID-19. Ma contribution à cette recherche a été nulle. En date du 22 octobre, le Saguenay Lac-St-Jean cumule 891 cas de Covid-19 dont 290 cas actifs et 1229 personnes en isolement au moment d’écrire ces lignes soit environ 0,5% de la population. Tous nos efforts sont déployés pour garder ces chiffres au plus bas niveau possible. Peut-être je déçois mon université en ne participant pas à l’effort de recherche mais c’est pour ma communauté que j’ai décidé de me battre. Dans cette dualité de chercheur et de clinicien qui m’habite, le choix des combats fait appel à des émotions que la raison seule ne peut expliquer mais que j’ai plaisir à écouter.
Martin Fortin, MD MSC CMFC
Professeur et chercheur, Département de médecine de famille
Faculté de médecine et des sciences de la santé de Sherbrooke
GMF-U de Chicoutimi
CIUSSS du Saguenay Lac-St-Jean